Blog (pas) intime

"Ce sujet favori: moi-même." (R. Bradbury)

2007/02/05

Les vieux jours des traditions



J'ai appris en lisant un vieux Courrier International qu'il y avait des maisons de retraite en Inde O_O. La famille y prend un sens de plus en plus nucléaire, les logements en ville sont de plus en plus exigus et les gens n'ont plus forcément envie de cotoyer les anciens au quotidien.

Bien sûr, ça m'a fait de la peine pour l'Inde et ses traditions qui se perdent, mais ça m'a surtout secouée parce que je me suis mise à faire des projections et des transpositions: et si, dans quelques dizaines années, la société au pays avait tellement changée qu'on serait réduits, nous aussi, à placer nos vieux dans des immeubles "tout confort" où ils pourraient vivre -et surtout mourir- sans déranger notre train-train quotidien?

Evidemment j'ai repensé à l'Ancêtre, le ciment de la famille, qui vit toujours dans la maison familiale de ce vieux quartier de la capitale. L'Ancêtre, qui a l'esprit vif à plus de 115 ans (selon les calculs des uns et des autres, les anecdotes qu'elle est en mesure de raconter, les événements auxquels elle a assisté, elle ne peut pas avoir moins de cet âge, même si certains de ses descendants lui créditent plus de 125 ans). L'esprit vif donc, la répartie cinglante, la bouche avide de ce que j'appelle ses friandises qu'elle ne peux plus croquer mais qu'elle fait râper par ses arrière-petits-enfants avant de sucer longuement la pulpe obtenue.

L'ancêtre, veuve depuis tellement longtemps que je n'ai jamais connu son époux, mon grand-père mais qui vit toujours le domicile conjugal, constamment entourée: sa fille, également veuve qui est venue s'installer avec ses enfants il y a deux ou trois dizaines d'années - ces enfants sont partis pour la plupart, mais aujourd'hui, avec le chômage et les études qui durent...- les petites-cousines qui vont et qui viennent, au gré des remariages de leur père et de la cruauté de la "marâtre" en exercice, les cousins et petits-cousins qui viennent en ville poursuivre le collège ou apprendre un métier, et tous ceux qu'on envoie chez la grand-mère sans raison particulière, parce qu'on n'a pas besoin de raison, et qu'il ne faut pas "la laisser toute seule".

Je sais que ça lui fait plaisir et que ca lui procure un sentiment d'accomplissement, d'avoir son chez-elle, d'être restée dans ce lieu chargé d'histoire familiale, d'être le centre de ce clan si vaste, de nous voir défiler le week end, nous rencontrer autour d'elle ("Tu ne le connais pas? C'est ton frère, c'est l'arrière petit fils de ma soeur Unetelle! Les enfants d'aujourd'hui, vraiment, aucun sens de la famille!"), de nous occuper d'elle, chacun à la mesure de nos moyens: un petit billet, un gros billet pour ceux qui peuvent, les provisions du mois, une poignée de ses friandises.

Et puis j'ai essayé d'imaginer notre Ancêtre dans un immeuble impersonnel, partageant sa chambre avec une quasi inconnue, sa chambre balayée et ses friandises râpées par une jeunette dont elle ne connaitrait même pas les grands-parents. Je sais qu'elle n'aura pas à vivre ça, que mes parents non plus, parce que nous sommes encore attachés à certaines valeur. Mais ensuite?

Libellés : ,